Reza (Reza Akhlaghirad), qui ne possède rien d'autre que la ferme sur l'étang de laquelle il pêche des poissons, refuse de se laisser soudoyer par les grosses sommes que lui proposent ses riches voisins pour la racheter. Même lorsque les mécontents commencent à user de la force, il refuse de céder à leurs odieuses intimidations. On pourrait ne voir dans cette intégrité extrême que la marque d'un mirifique héroïsme si Reza n'était pas mari et père, et si son zèle moral n'avait de conséquences malheureuses que pour lui. Mais parce qu'il est lié à sa femme (Soudabeh Beizaee) et son fils, on peut aussi y voir une obstination orgueilleuse. C'est en tout cas l'occasion pour le cinéaste de faire surgir de nombreux dilemmes moraux : l'Idéal justifie-t-il le sacrifice de sa propre vie de celle de sa famille ? N'apprendre à ses enfants que la bonté et la rectitude, n'est-ce pas en faire des futures victimes ? Peut-on être autre chose qu'oppresseur et opprimé dans un état policier ?

   Le réalisateur Mohammad Rasoulof, retenu en Iran en résidence surveillée au retour de la présentation de son film à Cannes, met en scène très subtilement les nombreuses situations dans lesquelles ses personnages tour à tour subissent et utilisent la corruption, montrant ainsi que la corruption généralisée est la somme des petites exceptions que les individus se pensent en droit de faire pour leur confort personnel. Il filme ses personnages au plus près dans des décors souvent saisissants de beauté. S'ils ont tous les deux des yeux étonnamment « perçants », l'homme intègre est incapable de rivaliser avec son épouse sur ce terrain : on n'est pas près d'oublier la ténacité absolue du regard de Soudabeh Beizaee, magnifique femme rebelle plus endurante dans la lutte que son homme.

F.L.