Avec Pompoko, Isao Takahata, l'autre cheville ouvrière avec Hayao Miyazaki du studio Ghibli, signe une œuvre fascinante qui s'avère être à la fois un conte écologique, un pamphlet politique, ainsi qu’une leçon de vie et d'histoire sur le Japon, dans laquelle l'auteur promeut la désobéissance civile. Pour ce faire, il met en scène une communauté de tanukis. Ces animaux, originaires de l’est de l’Asie, sont en réalité des chiens viverrins dont le faciès ressemble à celui des ratons laveurs. Il faut savoir que cet animal est considéré au Japon comme un Yōkai, un esprit de la forêt connu pour ses attributs disproportionnés et possédant des pouvoirs magiques. À ce titre, Takahata insiste, non sans humour, sur leur coucougnette à l'élasticité remarquable que le tanuki peut parfois utiliser comme arme de guerre. Dans le film comme dans les légendes, certains tanukis ont le pouvoir de se transformer, une capacité qu'ils utiliseront non sans malice pour berner ou effrayer les humains quand il s'agira de rentrer en résistance face à l’homme. Il faut savoir que le tanuki, animal montré dans le film comme plutôt débonnaire, n'a rien demandé. Il s'amuse, batifole et profite de tous les bienfaits de la nature avec laquelle il est en harmonie. Mais l'homme, auquel il cache sa nature de créature fantastique maîtrisant le langage et capable de raison, va briser son équilibre naturel, détruisant les montagnes et les forêts où il vivait. Le film va s’inspirer pour son histoire d'un projet urbain qui a vraiment existé dans les années 60, connu sous le nom de « la Nouvelle Tama », et qui s'est avéré au final un écocide. Ce récit qui nous montre comment une communauté de tanukis entre en résistance est avant tout un réquisitoire contre un Japon qui a préféré opter pour le productivisme et la consommation de masse au détriment de son espace naturel et de ses légendes.

La force de Takahata, tout comme celle de son comparse Miyazaki, réside dans sa capacité à nous offrir des longs-métrages qui proposent de multiples niveaux de lecture. Si vous avez vu Mes voisins les Yamada ou Le Tombeau des lucioles de Takahata, vous ne serez pas étonné par la maestria du maître japonais qui arrive à mêler la comédie et la tragédie comme personne d'autre. Pompoko n’est pas un simple film à charge contre les hommes, qui ne sont pas si différents des tanukis pour certains de leurs comportements. Ce que le réalisateur dénonce ici, c’est un système économique qui broie les êtres vivants et la nature pour toujours plus de consommation et de croissance. C'est un système libéral carnassier contre lequel il sera difficile de lutter pour nos pauvres tanukis. Ces derniers essaieront bien d'étudier les hommes devenus leurs ennemis, par le biais d'un vieux téléviseur récupéré dans une décharge. Mais comment comprendre l'être dit civilisé quand on est une créature magique vivant en harmonie et en liberté dans la nature, et que l'on se retrouve face à des êtres emprisonnés dans des blocs de béton appelés villes et soumis à vie à un système où ils ne doivent que travailler sans relâche et consommer ? Nos tanukis, agissant comme des Yōkai, créeront à un moment une parade monstrueuse pour faire arrêter le chantier et faire quitter la ville à ses habitants. Mais là encore, ce sera un échec. Pour le réalisateur, la race humaine n'existe plus depuis qu'elle s'est coupée de la nature et de ses traditions. L’homme a été remplacé par un citadin dont l'argent est la seule religion et référence morale, à l'image du personnage dirigeant le parc d'attractions.

Même si le combat des tanukis n’est pas vain et a finalement permis aux hommes de prendre conscience de l'écocide lié à l'urbanisation, Isao Takahata, cinéaste des marginaux, ne se fait guère d'illusion sur le devenir de nos sociétés. Notre monde rejette toujours ceux qui ne sont pas prêts à évoluer. Ainsi, les quelques tanukis qui ne sont pas dotés de pouvoirs magiques seront obligés de fouiller les poubelles et finiront sans doute par disparaître dans un monde où même les hommes sont interchangeables lorsqu'ils ne servent plus à rien. Les séquences avec les ouvriers que les tanukis finissent par chasser sont parlantes. Alors que nos chers Yōkai crient à la victoire, d'autres ouvriers sont là pour les remplacer en un rien de temps.

Malgré un message qui pourrait être qualifié de désabusé quant au devenir de notre société, Takahata parvient à nous faire rire et rêver grâce à un film visuellement splendide. L'animation est parfaite et le graphisme est de haute volée. Nous assistons à du grand art, comme toujours chez le studio Ghibli. Nous nous attachons réellement à nos tanukis, nous rions de leurs gestes et de leur manière de revendiquer en permanence la taille de leurs attributs. Nous finissons par admirer leur farouche goût de la liberté qui les pousse parfois à agir de manière désordonnée. Conteur hors pair, Takahata ne nous livre jamais un film larmoyant malgré la gravité du propos. Ici en effet, l'acte de résistance est toujours source de joie, même si parfois l'issue peut être funeste. Résister, c'est être ensemble, et c'est peut-être là l'essentiel !

Ce film est terriblement d'actualité dans sa thématique, surtout lorsque l'on voit les forces de police japonaises intervenir contre nos tanukis. Il suffit d’observer, en France, ces bassines protégées par des policiers en quad pour se dire que le combat raconté dans le film ne fait que commencer. Camarade Takahata, je crois que nous avons bien compris le message : c'est à nous de jouer.

Pompoko est un chef-d'œuvre de plus pour le maître de l'animation japonaise. Tout simplement.

Mad Will