Andrew Niccol, c’est l’histoire d’un cinéaste et scénariste venu de nulle part qui marqua les années 90 avec deux œuvres magistrales. Tout d’abord Bienvenue à Gattaca souvent considéré comme un classique de la science-fiction dont il signa le scénario et la mise en scène et ensuite The Truman Show dont il rédigea le remarquable script. À l’instar d’un Shyamalan, il est le cinéaste à suivre dans les années 90.

Pour autant ses projets suivants ne vont pas forcément avoir la ferveur du public. Son S1m0ne et son Lord of War ne fonctionnent pas en salles. Il lui faut ainsi 6 ans pour revenir sur les écrans avec le sympathique Time Out qui fait un carton au box-office au regard de son investissement initial. (Plus de 100 millions de recettes pour 40 millions de budget). Si le long-métrage possède un concept de base absolument génial, avec le temps devenu une forme de monnaie, il reste très conventionnel, trop linéaire, et ne propose pas de différents niveaux de lecture comme dans ses précédentes réalisations.

Niccol, l’homme qui avait su créer des mondes imaginaires très originaux va alors adapter Les Âmes vagabondes de l’auteure peu inspirée de Twilight. Volonté de reconnaissance aux yeux d’Hollywood, désir de répéter le succès public de son précédent film, il se lance dans le blockbuster pour adolescents. Il y perdra son âme avec un long-métrage qui se fait taillader par la critique et qui ne trouvera pas son public. Après un projet plus modeste intitulé Good Kill qui a été présenté à Venise dans un certain anonymat, il revient avec un Anon produit par l'Allemagne et distribué dans le monde entier par Netflix. Le parcours de Niccol ressemble étrangement à celui d’un Duncan Jones qui, promis à un bel avenir après son premier opus Moon , est rejeté après l'accident artistique Warcraft . Les deux cinéastes peuvent remercier Netflix de donner une chance à des talents oubliés d’Hollywood en finançant leurs projets personnels.


Mais que raconte le film Anon ?

Dans un avenir où l'intimité est abolie, un enquêteur se penche sur le profil d'un tueur en série qui a été effacé de tous les enregistrements visuels...

L’ouverture du film est pleine de promesses. La caméra suit un Clive Owen qui traverse une rue. Puis on découvre très vite par le biais d’une prise de vue subjective, un univers où l’anonymat a disparu. Par l’intermédiaire d’une réalité augmentée qui s’affiche directement sur l’iris, l’ensemble de nos données sont visibles par n’importe quel quidam. Niccol utilise deux ratios d’images dans son film. Les plans plus classiques mettant en scène les personnages sont captés en 2.35. C'est le fameux Cinémascope avec ses bandes noires en haut et en bas sur nos télévisions.  Par contre quand Niccol passe en caméra subjective, il va user d’un 1.77. Ce format plus large est celui de nos télévisions.

Dans les visions subjectives, il va remplir son cadre d’informations textuelles qui donnent toutes les renseignements possibles sur une personne, même les plus intimes. Dans Anon, le monde est devenu une énorme base de données où le secret n’existe plus

Cette dystopie s’inspire de notre besoin de sécurité permanent qui nous amène à renoncer à nos libertés individuelles et révèle notre soumission aux réseaux sociaux où l’on affiche littéralement nos vies que les consortiums s’empressent de vendre ensuite au plus offrant.

Niccol nous décrit un monde qui fait horriblement peur, car il nous ressemble beaucoup. Dans cet univers, le travail des flics se résume à visionner ce que nos yeux regardent. Nos iris sont devenus les caméras de surveillance d’une société où chacun peut scruter l’autre en permanence. En effet, nos données, nos vies, ce que l’on regarde, sont enregistrés en permanence dans l’Éther, sorte de base de données mondiale.

Fascinant Accrocheur, le film surprend et passionne… Pourtant...

Tout démarre comme dans un excellent épisode de Black Mirror. Clive Owen est parfait dans son rôle de flic tourmenté. On rêve à un nouveau Bienvenue à Gattaca avec un métrage adulte qui prend son temps pour installer le récit à l’instar des monuments de la science-fiction engagée des années 70 tels que Rollerball ou Soleil vert . On se dit que les films ratés de Niccol ne devaient leur  fiasco qu’aux méchants banquiers de Wall Street qui ont pris le contrôle du cinéma outre-Atlantique. Avec Netflix comme initiateur du projet, il avait retrouvé la liberté.

Et puis après une demi-heure passée, le film s’enlise dans ses enjeux et commence à devenir aussi fade que sa photographie. Andrew Niccol propose un univers qui s’appuie sur un superbe concept servi par une très jolie réalisation, on comprend son souhait de concilier le film noir et la science-fiction, mais ses intentions sont trop diluées. En effet, son intrigue policière manque d’originalité, il l’inscrit trop rapidement dans des schémas mille fois vus ailleurs avec la femme fatale et le policier taciturne. À ce titre on se moque totalement des méfaits du serial killer qui multiplie les meurtres et dont la révélation de l'identité est forcée. Les intentions de celui-ci pour réaliser ses actes sont totalement absconses et révèlent une écriture de personnages trop légère. On a l’impression qu’Andrew Niccol n’a pas réfléchi à leurs histoires personnelles respectives, à leur psychologie, aux raisons qui les poussent à accomplir leurs actes. Les personnages sont pourtant la porte d’entrée du spectateur pour croire à une histoire racontée. Dans Anon, les protagonistes ne dépassent cependant jamais le cadre du stéréotype.

Vous pourrez me rétorquer que l’enjeu du film est la présentation d'un monde fondé sur les réseaux sociaux où toute intimité est impossible. L’intrigue policière ne serait là que pour maintenir l’attention du public. Malheureusement, à l’instar de son précédent opus Times Out, le film ne va jamais développer le concept exposé dans la première séquence du film. Niccol ne montre ainsi jamais les conséquences de l’absence d’anonymat dans le monde qu’il a créé. Il ne prend pas le temps de montrer l’organisation de son univers futuriste.

En tant que scénariste, Niccol tombe dans le piège du "high concept" hollywoodien. Le high concept c’est la recherche d’un concept orignal racontable en une phrase et qui commence par un « Et si… ». Ce sont ces créations facilement pitchables qui donnent envie aux spectateurs de découvrir le film et de voir l’auteur développer son idée. Malheureusement, le scénario d'Anon ne construit rien à partir de son concept prometteur, qui devient au final une facilité narrative pour mener une intrigue policière dont l’originalité n’est pas le point fort (si l’on se référait au pays producteur du film, on évoquerait Derrick).

Enfin, malgré une esthétique intéressante quoiqu’un peu fade, sa mise en scène manque totalement de personnalité et finit par ressembler à ce qu’elle dénonce : c’est-à-dire l’anonymat. Si, dans Bienvenue à Gattaca, sa réalisation clinique servait son propos et n’était pas dénuée d’humanité, comme son final absolument bouleversant, sur Anon, ses acteurs cadrés en plans larges font parfois figure de pantins et semblent perdus dans des décors vides et rétrofuturistes mille fois vus dans d’autres productions.

Grâce à son pitch original, Anon possédait un fort potentiel. À l’écran les attentes sont loin d’être comblées, surtout quand on connait le CV de son réalisateur.  Dommage.

Mad Will