Les oeuvres de Lucio Fulci disponibles sur Shadowz :

Le cinéma de Fulci…  Des corps ensanglantés, des viscères, la peur et la mort qui nous hantent au plus profond de notre être et qui sont magnifiquement mis en image par l’un des grands poètes du macabre italien.

Quand on parle du fantastique et plus particulièrement du cinéma d’horreur italien, on évoque volontiers Dario Argento, l’esthète de la violence qui offrait dans chacun de ses films un opéra sanglant sublimé par des mouvements d’appareil aériens et une photographie d’avant-garde. On cite moins souvent Lucio Fulci qui fut trop souvent associé à du simple cinéma d’exploitation. Malgré une filmographie très riche il faudra de nombreuses années pour que ce franc-tireur atypique du cinéma populaire italien soit enfin reconnu. Argento se revendiqua très tôt comme un auteur, dénomination légitime quand on signe des œuvres telles qu’Inferno ou Ténèbres . Au contraire, Fulci été longtemps considéré comme un simple artisan ayant œuvré dans tous les genres populaires du cinéma italien durant les années 60 et 70. C’est son passage dans le cinéma d’horreur à l’aube des années 80 qui lui permettra de rencontrer les faveurs des fans de genre et plus tard d’être redécouvert par un public toujours plus nombreux lors de nombreuses rétrospectives et hommages.

Fulci commence sa carrière comme assistant auprès de cinéastes tels que Marcel L'Herbier. Ses premiers pas en tant que réalisateur, il les fait sur des comédies mettant en scène des stars du genre telles que Totò ou Franco & Ciccio (Franco Franchi et Ciccio Ingrassia). C’est au milieu des années 60 qu’il va tenter d’élargir son horizon cinématographique avec un western d’une rare violence pour l’époque intitulé Le Temps du massacre et mettant en scène l’excellent Franco Nero, l’immortel héros du Django de Corbucci. Après le western et des comédies alimentaires, Fulci s’inspirera du giallo (genre italien cinématographique à la frontière du cinéma policier, du cinéma d'horreur et de l'érotisme) pour signer deux œuvres maîtresses Perversion Story et Le Venin de la peur . Le cinéaste y fait preuve d’une mise en scène inventive, formaliste et résolument pop. Sa caméra est extrêmement mobile avec un usage du gros plan et du zoom ainsi que du travelling compensé (travelling arrière associé avec un zoom avant ou inversement). Dans le cinéma de Fulci, il y a une grande attention apportée à l’image qui raconte à elle seule l’histoire, les acteurs et les dialogues n’étant pas essentiels pour lui. Ce principe, Fulci le poussera à son paroxysme dans l’Au-delà sur lequel nous reviendrons plus longuement dans la suite de cet article.

Le venin de la peur et Perversion Story sont l’occasion pour lui d’expérimenter certaines figures de son cinéma d’horreur à venir. Dans le premier, il se joue de la narration standard et s’inspire du rêve. À ce titre, le final devait mettre en scène un tueur venu du monde des songes, mais le producteur refusera. Dans le second, c’est son goût pour le morbide que Fulci place par petites touches, comme dans cette scène où le visage de la morte s’insinue dans les ébats érotiques du héros.

En 1972, sort en Italie le film préféré de son auteur :  La Longue Nuit de l'exorcisme . Disponible dans une édition extraordinaire chez Le chat qui fume, ce métrage est l’un des rares giallos campagnards du cinéma italien. Fulci signe ici une œuvre pessimiste qui, dans un style quasi naturaliste, décrit une campagne arriérée où la rumeur fait office de loi. Un film indispensable qui montre oh combien Fulci n’était pas qu’un simple cinéaste du gore et signa des thrillers qui pouvait se mesurer aux œuvres argentesques. Il filmera ensuite une adaptation de Croc blanc et un western crépusculaire Les 4 de l’apocalypse avant de revenir vers une forme de giallo sophistiqué avec l’Emmurée vivante.

Pour autant, Fulci à la fin des années 70 commence à avoir du mal à tourner malgré des réussites évidentes. Il est alors totalement ignoré par les critiques et le public. Il disait de l’Emmurée vivante, que « ce fut un échec et pendant les deux années qui ont suivi, j’en étais venu à réaliser des revues TV de music-hall ! C’est à ce moment qu’est venu me voir le producteur de L’Enfer des zombies Fabrizio De Angelis qui, enchanté par L’Emmurée vivante, était persuadé que personne d’autre que moi n’était mieux placé pour réaliser L’Enfer des zombies. J’étais très content, car j’ai pu retrouver toute l’équipe de mes précédents films et le tournage s’est déroulé parfaitement. »

Fabrizio De Angelis est un producteur italien qui a, comme beaucoup de ses compatriotes, une sacrée tendance à copier ce qui se fait ailleurs. Marqué par le succès de La nuit des morts-vivants, il lance son propre film de revenants avec Fulci à la réalisation. Presque au même moment, Zombie de George Romero coproduit par Argento sort en salles. Angelis n’hésitera pas alors à sortir l’Enfer des zombies réalisé par Fulci sous le titre Zombi 2 ! Ce qui aurait pu n'être qu’une simple œuvre mercantile va devenir grâce à Lucio, une pièce maîtresse du cinéma de morts-vivants !

Pas forcément convaincu par le scénario, Fulci veut faire de l’Enfer des Zombies, un pur film de sensations. Porté par les maquillages de Giannetto de Rossi, il nous offre un long-métrage d’une violence inouïe. Ces revenants montrent à l’écran une putréfaction plus qu’avancée. Les créatures que Fulci filme souvent en gros plan sont édentées et grouillent de vers. Le cinéaste nous jette littéralement leurs organes à la face repoussant littéralement les limites du gore. L’ambiance est poisseuse. Les images sont à la limite du soutenable avec la célèbre scène de l‘écharde qui fut souvent coupée lors de la distribution en salles. Fulci se joue ici avec beaucoup de bonheur de la dichotomie Enfer et Paradis. Dans des décors paradisiaques, les zombies sont la personnification de la mort. On nait et on meurt dans la douleur chez le cinéaste italien. Peintre des viscères, il nous offre des tableaux macabres furieusement gores, ou la chair se confond avec les paysages d’Haïti et ses tempêtes de sable.

Le film remporte un gros succès à l’international et Fulci se voit offrir par son producteur la possibilité de continuer dans le registre de l’horreur, nous donnant de grands films tels que Frayeurs , La Maison près du cimetière et surtout L'Au-delà qui reste la pièce maîtresse de son œuvre, synthétisant parfaitement ses obsessions.

Fulci continuera bien sa carrière au cours des années 80 et au début 90, mais de plus en plus malade avec un diabète qui l’affaiblissait, le maître disparaîtra des écrans avec des réalisations comme Nightmare Concert qui ne retrouveront pas leur lustre d’antan, sa fin de carrière témoignant d’un cinéma italien totalement détruit par la télé de Berlusconi. 

Je vous propose à présent de revenir sur mon film préféré du maître, peut-être son plus personnel, je parle bien sûr de l’Au-delà.

Mais que raconte l’Au-delà ?

Louisiane, 1981. Liza Merril hérite d'un hôtel dans lequel un peintre a jadis été crucifié pour sorcellerie, et qui s'avère construit sur l'une des portes de l'Enfer. Alors que le chantier de restauration du bâtiment débute, l'un des ouvriers est victime d'un terrible accident. Plus tard, un plombier disparaît mystérieusement et un ami de Liza fait une chute mortelle. Devant cette succession d'événements tragiques, la malheureuse propriétaire est terrorisée et commence à comprendre que des esprits malfaisants hantent les lieux. Lorsqu'elle prend la fuite pour se rendre dans un hôpital, elle est loin d'imaginer quel cauchemar l'attend...

Si vous cherchez un scénario avec des rebondissements à la Night Shyamalan, une psychologie élaborée ou des dialogues ciselés, passez votre chemin. Fulci revient à l’essence même du langage cinématographique en créant un film d’images où le récit (la manière de raconter) prend le pas sur l’histoire : « Mon idée était de faire un film absolu, avec toutes les horreurs de ce monde. C’est un film sans intrigue : une maison, des hommes et des morts qui viennent de l’Au-delà. Il n’y a pas de logique à chercher dans ce film qui n’est qu’une suite d’images ».

Fulci citait souvent Antonin Artaud pour définir son cinéma : « Un langage à partir de signes, de cris, et non de mots : une pression directe sur les sens. ».  Dans le cadre de l’Au-delà, on évoquera également le cinéma surréaliste comme modèle à travers le refus du cinéaste de toute causalité et son goût pour les énucléations qui rappellent Le chien Andalou. Il ne faut jamais oublier que Lucio à l’instar de nombreux réalisateurs italiens de sa génération était un intellectuel qui possédait une immense culture plastique et littéraire, mais aussi musicale. Avec des cinéastes tels que Dario Argento ou Pupi Avati (Zeder ou La Maison aux fenêtres qui rient), le cinéma d’exploitation transalpin a toujours marié avec beaucoup de bonheur la culture populaire et les références plus élitistes.

Entouré par l’équipe technique de l’Enfer des zombies, Fulci dépasse les contraintes du budget qui lui est alloué (400 000 euros) pour créer une ambiance oppressante, faisant de son film une œuvre viscérale et jusqu’au-boutiste dans son refus d’utiliser les codes du cinéma narratif.  Seule l’image construit l’histoire. Le plan final qui rappelle la toile du peintre lynché en ouverture du film est l’illustration d‘un cinéma qui utilise ses personnages comme des pantins désincarnés aux mains de l’artiste démiurge qu’est le réalisateur.

Servi par une magnifique photographie en clair-obscur, le réalisateur transalpin imprime à l’écran des images qui resteront à jamais gravées dans l’esprit du spectateur comme ce magnifique plan où Emily, la jeune aveugle, apparaît sur le pont abandonné. Fulci joue beaucoup sur le contraste entre les extérieurs lumineux de La Nouvelle-Orléans et les intérieurs cradingues et sombres où les fenêtres et les portes nous sont souvent dissimulées à l’image. Le spectateur souffre réellement de claustrophobie au moment où les scènes de supplice se succèdent. La scène où une mère fond littéralement devant les yeux de sa fille dans une salle de l’établissement hospitalier dit beaucoup du rapport du cinéaste au corps, et de sa vision très clinique de la mort et du deuil. En effet, il n’y a pas d’intellectualisme dans son cinéma qui peut provoquer chez le spectateur peu habitué au cinéma d’horreur, une certaine révulsion. Pas d’ironie envahissante comme aux USA pour désamorcer les situations. Fulci nous donne à voir des tableaux horrifiques mis en scène avec beaucoup de grâce et de crudité.

Homme plutôt à gauche, Fulci avait connu les horreurs du fascisme dans sa famille. Il était donc très inquiet de la montée de l’extrême droite dans son pays et refusa pendant toute sa carrière de réaliser les « Vigilante Movies » italiens qu’il taxait d’œuvres de propagande fascistes. Nihiliste, mort dans d’étranges circonstances (il n’aurait pas pris son traitement pour le diabète), Fulci usait des scènes d’horreur pour faire réagir le spectateur et provoquer son dégoût, et non pour l’endormir avec une violence cartoonesque made in USA.

L’Au-delà est un livre d’images sanglantes tout droit sorti de l’enfer. Expérience sensitive hors norme dans le cinéma d’horreur, manifeste d’un cinéma italien qui entretenait de fortes relations avec l’histoire picturale transalpine, L’Au-delà n’est pas un simple film mais un poème macabre signé par un homme qui aura donné sa vie au 7ème art : « J’ai ruiné ma vie pour le cinéma : je n’ai pas de famille, pas de femme, juste des filles. Toutes les femmes m’ont quitté parce que je ne cesse de penser à mon métier. Mes seuls hobbies sont mes deux chiens et mon bateau à voile. C’est très important pour moi, le travail. John Ford avait dit un jour : Je sais que dans les bars, on dit du mal de moi. Mais moi, je suis en train de tourner dans les montagnes avec les Indiens tandis que les autres parlent… Je crois que pour moi, seul le cinéma est important, c’est mon métier, ma vie. »

Mad Will