Le plus beau film du monde.

Il y a des œuvres cinématographiques où l’analyse critique est impossible tant on est touché par le film. Où la magie du cinéma est tellement puissante que même les quelques défauts du film deviennent à nos yeux des qualités.

Excalibur fait partie de mon panthéon cinématographique, de ces œuvres qui ont viscéralement marqué mon ADN de cinéphile. Mon retour sur ce chef-d’œuvre sera totalement subjectif, voire emphatique au regard de l’émotion ressentie devant cette épopée arthurienne qui me hante depuis mes plus jeunes années.

John Boorman son réalisateur est un franc-tireur du cinéma. D’origine anglaise il marqua le cinéma américain avec son Délivrance , La forêt d’émeraude ou le magnifique Hope and Glory qui témoigne de son enfance sous les bombardements allemands.

L’homme fait preuve d’un très fort caractère et s’avère être un narrateur hors pair, connu sur les plateaux comme un cinéaste complet, d’une grande précision et capable de communiquer avec tous les secteurs artistiques du 7ème art. Le décorateur Anthony Pratt disait de lui lors du tournage d’Excalibur : « Je pense qu'il fait partie de ce petit nombre de metteurs en scène, où se retrouvent Kubrick, Fellini et Lean, qui portent une très grande attention à tous les aspects techniques de la production ».

Quant au chef opérateur Alex Thompson, il déclara qu’« Excalibur était le genre de film où chacun sentait, pendant le tournage, que ce serait une réussite ; où chacun était fier d'y contribuer ».

Passionné et presque jusqu’au-boutiste en tournage, Boorman est de la race des Houston ou d’un Werner Herzog, il ne fait pas simplement du cinéma, mais le vit jusqu’au plus profond de son âme, donnant tout pour son art.

Boorman fut associé avant Excalibur, au projet d’adaptation du Seigneur des anneaux, mais au regard du budget nécessaire pour réaliser le projet (pour rappel le numérique n’existait pas), le film fut annulé. Avant de mettre en image son épopée arthurienne, il signa L’Exorciste 2, et Zardoz , épopée de science-fiction mettant en scène Sean Connery en slip et cuissardes. Le film fut longtemps considéré comme un nanard en particulier en raison de la couverture d’un livre de François Forestier sur les longs-métrages ratés et désopilants qui reprenait un photogramme du film en couverture.  Pour autant, grâce à la beauté du temps qui passe, le film a gagné une certaine reconnaissance grâce à un travail de recontextualisation. Zardoz est un échec, au même titre que sa suite de l’Exorciste. Mais Boorman reste l’auteur de Délivrance et réussit à trouver un budget pour Excalibur.  Tourné en Irlande, pour un budget assez restreint de 11 millions de dollars, le réalisateur anglais se donne corps et âme pour créer un opéra cinématographique sur la légende arthurienne. Limité à une durée d’environ deux heures (le film fait 2h20) pour une histoire se déroulant sur plusieurs décennies, accompagné par un casting presque débutant et flanqué d’un budget limité ; il offre une vision de l’héroïque fantasy très wagnérienne auquel l’on souscrit jusqu’au plus profond de son âme ou que l’on peut réfuter en bloc, comme Olivier Assayas qui qualifiait le film de pompier dans Les Cahiers du Cinéma. Il n’y a pas de juste mesure possible avec cette œuvre, c’est pourquoi Excalibur occupe une place originale dans le genre heroic fantasy.

Une ouverture théâtralisée

«Opéras. Ces mélodrames de grande classe pour tempéraments tragiques» disait Roger Lemelin. En grand homme cultivé Boorman va employer dans son film une esthétique fortement influencée par le théâtre et l’opéra.  Dès l’ouverture du film, la musique de Wagner résonne, le film commence alors avec un magnifique plan en contre-plongée servi par une lumière orangée semblant sortir des entrailles de la terre. L’éclairage dessine parfaitement le plan, mais reste artificiel avec le halo des projecteurs qui est perceptible.

Boorman va employer à la suite de ce plan, des cadres assez rapprochés, là où bon nombre de cinéastes auraient utilisé des plans larges à des fins spectaculaires. D’un nuage de fumée surgit Merlin qui de suite par l’intermédiaire d’un raccord dans l’axe, va occuper tout le cadre. Cette ouverture presque caravagesque montre comment John Boorman a dépassé ses contraintes budgétaires en créant un univers stylisé, nous offrant pour notre plus grand plaisir des tableaux chevaleresques de toute beauté.

Un opéra mythologique

En ramenant le mythe arthurien à la durée de 2h30, il présente un spectacle total et montre un art de l’ellipse absolument admirable.  C’est bel et bien à un opéra cinématographique auquel nous assistons avec cette construction dramatique où les ellipses temporelles permettent les changements de scène et de saison. Comme ne pas évoquer cet hiver éternel qui montre la déchéance d’Arthur et sa cour ou bien encore ce passage absolument poétique et d’une puissance émotionnelle rare où le printemps revient sur le passage du roi quand il part affronter Mordred. Cette stylisation opératique est visible également à travers l’utilisation d’éclairages prononcés. Quand on évoque Excalibur, on pense évidemment à cette lumière verte qui réfléchit sur le décor et les armures dans la première partie du film ou bien encore à cette lumière orangée que j’avais évoquée pour l’ouverture du métrage. Boorman n’efface pas la présence des éclairages, il les intègre à son image à la manière des projecteurs visibles sur les côtés de scène dans un vrai opéra. Ce n’est pas le réel que cherche le cinéaste anglais, mais la représentation la plus juste de la mythologie et du destin des hommes à travers une abstraction théâtralisée. Quant à l’utilisation de fumigènes dénoncée ici ou là, elle aussi est un artifice de la machinerie de l’opéra, qui donne de suite une ambiance à la scène.

À l’opposé, Boorman emploie la suggestion sur les éléments fantastiques les plus spectaculaires avec le dragon souvent évoqué qui représente la terre. Encore une fois, il nous rappelle les arts de la scène où les instants les plus spectaculaires sont plus évoqués que montrés. Le budget et l’époque ne permettaient pas de grands effets spéciaux, mais on devine que Boorman a choisi pleinement de n’y avoir pas recours tant son esthétique symboliste est à l’opposé des autres films des années 80.

Enfin, pour renforcer cette esthétique théâtralisée, Boorman recourt à un découpage où les plans larges sont peu présents. Usant de beaucoup de plans demi-ensembles, ses choix de cadrages donnent l’impression d’assister à une pièce qui se joue devant nous où l’écran devient l’avant-scène. Le jeu théâtral de ses acteurs participe lui aussi à cette représentation. Ce qui est recherché ici c’est un jeu signifiant où chaque personnage incarne une idée du mythe chevaleresque.

Le final du film cristallise cette approche esthétique avec son soleil rouge et son décor peint évoquant l’art de l’estampe japonaise et les films de Kurosawa. Le réalisateur va même plus loin brouillant totalement les codes cinématographiques avec les hommes de Mordred qui évoquent l’arrivée d’Arthur en tendant l’oreille alors que résonne l’épique O Fortuna composé par Carl Orff à l’écran. La musique qui était extradiégétique (qui ne vient pas d’une source sonore présente dans le film) intègre la diégèse (l’histoire du film). Boorman résume parfaitement sa création d’« un monde contigu, semblable au nôtre, mais en même temps différent, situé dans une époque en dehors du temps ».

Le film n’emploie pas seulement le O Fortuna tiré du Carmina Burana de Carl Orff. Nous retrouvons aussi trois emprunts au répertoire de Richard Wagner : la Marche funèbre de Siegfried pour les passages avec Excalibur, le Prélude de Tristan et Iseult pour les séquences mettant en scène en scène Lancelot, et enfin le Prélude de Parsifal pour les passages autour du Graal.

Si le film utilise aussi une musique originale signée Trevor Jones pour d’autres séquences, on se rend compte que l’utilisation de pièces classiques pour les scènes clefs du film rappelle les concerts lyriques où l’on attend le grand air. Le choix de ces œuvres n’est pas anodin, il correspond aussi à une musique symphonique qui prend pour sujet des mythes et légendes qui appartiennent à la culture anglo-saxonne et celte du moyen-âge.

Un film riche en thématiques

L’aventure, la quête, et une vision très personnelle de la nature sont présentes dans Excalibur comme dans tant d’autres films de la riche cinématographie de son auteur. Que ce soit la nature déjà mise en scène dans Delivrance ou bien encore dans La forêt d’émeraude, elle est encore une fois essentielle dans Excalibur où la terre nourricière symbolisée par le Dragon devient le reflet des tourments d’Arthur. À ce titre, Boorman a choisi Irlande malgré des conditions météorologiques terribles pour se retrouver au plus près d’une nature que la main de l’homme n’a pas encore ravagée. La thématique de la quête présente dans ses autres films est au centre de la dramaturgie d’Excalibur à travers la figure du Graal, qui ne peut se révéler qu’à celui qui ose faire face à sa véritable personnalité.  Chaque détail visuel du film possède un signifiant comme pour le masque de Mordred qui renvoie aux faux dieux de Zardoz, signifiant que celui-ci n’est qu’un homme qui se voudrait un dieu. Excalibur peut-être perçu comme un film sur le passage du paganisme à la chrétienté. Pendant la première partie du long-métrage, Merlin est le maître du cadre, il apparaît à sa guise devant l’objectif de la caméra en occupant tout le champ. Puis sa figure va progressivement disparaître jusqu’à devenir un reflet, une silhouette inquiétante signifiant que les dieux des anciens temps n’ont plus leur place sur la terre des hommes.

Le maître du temps

Au-delà de l’esthétisme, la maîtrise de Boorman est aussi visible dans sa gestion de la temporalité de son récit. Il emploie le fondu enchaîné avec une grande intelligence passant d’une époque à une autre avec élégance, comme dans la scène où Morgane lave Mordred. À cet instant, en quelques secondes, le fils des amours incestueux d’Arthur grandit devant nos yeux. À la différence d’un Jackson qui a parfois allongé inutilement Le hobbit, Boorman arrive en un peu plus de deux heures à condenser une mythologie qui traite de plusieurs âges. Il disait à ce propos : « C’était un film très ambitieux. (…) Je voulais raconter l’intégralité du mythe depuis Uther Pendragon le père du roi Arthur. C’est l’ampleur du mythe qui en fait la grandeur : la fondation d’une civilisation à Camelot, puis sa chute à cause du péché d’un homme. Et ensuite la quête du Graal pour retrouver la grâce perdue et refonder le royaume. En principe chacune de ses parties suffit à faire un film ».**

Excalibur est une épopée chevaleresque sublime qui reste la plus belle adaptation du mythe arthurien grâce à la réalisation d’un esthète du cinéma trop sous-estimé.

Michel Ciment dit de Boorman qu’il croit aux archétypes universels que partage le genre humain. Film à l’ambition démesurée qui voulait donner corps à l’essence d’un mythe, Boorman signe avec Excalibur, son meilleur film au sein d’une riche carrière qui compte des classiques tels Delivrance ou Hope and glory.

Mad Will

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