Cette semaine nous revenons sur l’un des plus grands succès public et critique de feu George Romero : Creepshow.

Et le maître ne fait pas mentir sa réputation de réalisateur politisé puisque ce film à sketchs est un hommage à la grande maison d’édition américaine EC Comics créée en 45 pendant l’âge d’or des comics (1938 à 1955). En deux mots cette société développe après-guerre différentes séries notamment d’horreur, d’aventure et de thriller qui vont avoir un succès populaire fou auprès des jeunes et des adultes. Des histoires macabres et drôles caractérisées par une chute implacable et sans appel. Et la mode est lancée ! D’autres éditeurs vont venir s’engouffrer dans la brèche pour surfer sur cette vague de récits one shot qui délivrent leur dose de subversivité et de frissons pour le plus grand plaisir des adeptes de sensations fortes.

Évidemment la censure guette et voit d’un très mauvais œil cette littérature décadente qui franchit allègrement le cadre de la morale. Pire, on la rend vite responsable de la montée de la délinquance juvénile. Un essai à charge du psychiatre Fredric Wertham (Seduction of a innocent) va même jusqu’à tenter de montrer la mauvaise influence qu’exercerait directement les comics sur les jeunes lecteurs. Les politiques s’emparent du sujet et les éditeurs décident d’anticiper la censure en créant un code, inspiré du Code Hays pour le cinéma, pour encadrer et réguler le contenu des comics. Un classique dans le milieu de la culture puisque tout public averti sait parfaitement qu’il est très commun de rendre responsable les films de genre et autres jeux vidéo des pires comportements et que, pour ces derniers, leur représentation dans les films est encore aujourd’hui catastrophique. Ces traditionnelles craintes de contamination des jeunes esprits sont récurrentes et masquent le caractère révélateur du genre qui permet de mieux décrypter les fonctionnements de notre société. Mais qu’importe, EC Comics est alors dans la tourmente tandis que d’autres éditeurs doivent s’autocensurer pour satisfaire aux exigences du Comics Code Authority.

EC Comics va connaître une grande crise financière et l’âge d’or des comics arrive à son terme. C'est la fin d’une époque qui a marqué toute une génération d’auteurs (Stephen King, George A Romero, Alan Moore, Frank Miller, David Cronenberg) qui revendiqueront l’influence de ces bandes dessinées sur leur travail. Bien sûr, le comics n’est pas mort (l’âge de bronze s’annonce) et l’essai de Wertham sera par la suite complètement discrédité. Mais en s’associant avec King, Romero offre un bel hommage à cette littérature de jeunesse décomplexée qui a marqué ses jeunes années ainsi qu’une revanche sur les censeurs de l’époque. Belle association que ses deux talents qui partagent quelques points communs. Outre leur statut, d'« indépendants », ils restent attachés à des villes qui ne sont pas particulièrement considérées comme de grands foyers culturels (pour Romero notamment le fait de ne pas vouloir quitter Pittsburgh va lui plomber sa carrière) et ils sont tous deux des références lorsqu’il s’agit de parler des peurs.

Ils se rencontrent à l’occasion du projet d’adaptation au cinéma de Salem de Stephen King. Si ce film se transformera en mini-série et sera confiée à Hooper, cela n’enlève rien à leur envie de travailler ensemble. Il ne faut pas oublier que le précédent film de Romero, Knightriders qui mêle chevalerie et grosses cylindrées n’a pas marché en salles. Travailler avec l’auteur de Shining ou Carrie pouvait lui permettre de retrouver du crédit face aux studios. De toute façon, les deux hommes très à gauche, semblaient faits pour travailler ensemble, tant ils sont marqués par la contre-culture (BD,rock…)

Ces deux francs-tireurs créent Creepshow, une dédicace aux BD de EC Comics en forme de doigt d’honneur à la censure de l’époque. Et quitte à pousser le bouchon autant y aller au maximum. C’est pourquoi Creepshow ne brille pas particulièrement par ses cohérences scénaristiques ou par la profondeur de son scénario. Proche du matériau original, les 5 histoires développées sont cathartiques et emballées pour délivrer le shoot d’humour noir et de situation joyeusement sadique. Des segments qui fonctionnent plutôt bien ensemble en comparaison d’autres tentatives du même genre comme celle de la compagnie Amicus en Angleterre (Le Train des épouvantes) ou bien encore la version cinéma des années 80 de La quatrième dimension signée Spielberg, Landis, Miller et Dante. Surtout, les différents récits officient tous dans un univers différent et rendent compte de la variété de milieux que le genre peut embrasser. Romero réussit parfaitement à passer de l’un à l’autre et finit en apothéose sur le meilleur segment du film avant de conclure dans un épilogue à charge contre les bien-pensants. Attendez-vous donc à une bonne dose de cruauté avec cette idée amorale que les méchants punis méritent les souffrances qu’on leur inflige.  Tout est axé autour du retour de bâton et Némésis prend la forme de zombies, d’un yéti, ou d’une armée de cafards pour rétablir l’équilibre et rattraper les lacunes de la justice des hommes.

Le premier sketch, tout en carton-pâte, lorgne du côté du gothique époque Hammer à la sauce Mario Bava avec ses couleurs primaires très prononcées, et propose une délirante histoire de fête des Pères à la sauce gore. On retrouve avec plaisir Ed Harris dans cette histoire simple, mais emblématique des récits de vengeance des EC Comics.

Le 2e sketch est le plus WTF avec un Stephen King himself en roue libre totale. Plagiant Jerry Lewis, l’écrivain du Maine est le héros de ce segment sans doute le moins abouti mais qui résonne quand même avec un certain humour noir cher à l’auteur.

Le troisième segment est plus contemporain et met en scène façon Saw avant l’heure un Leslie Nielsen très éloigné des Y a-t-il un flic pour sauver la reine. Il est ici froid et calculateur, prêt à tout pour se venger. Attention au retour de marée cependant ! Ce segment est le plus psychologique et l’on découvre un Ted Danson tout jeune qui se fera connaitre par la suite avec des comédies familiales telles que Trois hommes et un bébé.

 

Le quatrième film rappelle presque l’univers de Lovecraft avec cette mystérieuse caisse ramenée d’une expédition polaire du IXXe et soigneusement cachée sous l’escalier d’une université.  Très fun, porté par une esthétique presque cartoon, nous avons le plaisir de retrouver ici l’égérie de John Carpenter Adrienne Barbeau en insupportable mégère alcoolique.

Enfin le dernier segment est une charge sociale très réussie qui s’inscrit véritablement dans le cinéma hautement politique de Romero. La critique d’un horrible patron avec cette idée très graphique de vengeance orchestrée par une armée de cafards, symbole à la fois de l’exploitation et de la folie sans limites du chef acariâtre. Un mix improbable entre Capra ou le Dickens d’Un chant de Noël et les films d’insectes tueurs tels que Les Insectes de feu ou L'Horrible Invasion.

Côté mise en scène, les effets de lumières monochromes rappellent que les comics se déclinaient au début sur seulement 4 couleurs pour réduire les coûts. Tom Savini de son côté assure des maquillages réussis qui confèrent beaucoup à l’esthétique du film.

Creepshow sera un succès et donnera envie à Romero de poursuivre sur ce chemin. Bloqué par une histoire de droits il créera sa propre série The Tales From Darkside produite par Laurel Entertainment (fondée par Romero qui la quitte en 1984) et fera également une grande incursion du côté des comics.

Thomas